Résumé :
Victor Hugo publie en 1829 ce roman qui est un réquisitoire contre la peine de mort. Il y détaille les états d'âme d'un condamné au fil de quarante-neuf chapitres.
Ce livre est composé comme une sorte de journal intime tenu par le condamné à mort quelques semaines avant son exécution. Rien n'est dit sur l'identité de cet homme, ni sur son crime, sauf qu'il est trop jeune pour mourir. Seuls les sentiments et les impressions du condamné sont exprimés à travers le "je" du personnage. Tout y est décrit : la longue attente, l'espoir, la peur, l'angoisse qui monte pour finir en résigniation. Puis le jour de l'exécution arrive. Avec lui, nous vivons ce cauchemar comme si nous étions le condamné.
Commentaire :
Le livre est composé de trois parties : Bicêtre, la Conciergerie et l'Hôtel de Ville qui sont elles-mêmes séparées en trois parties :
- Bicêtre : le procès, le ferrage des forçats et la chanson.
- La Conciergerie : le voyage vers Paris, la rencontre avec la friauche et la rencontre avec le geôlier qui lui demande les numéros pour jouer à la loterie.
- L'Hôtel de Ville : le voyage dans Paris, la toilette du condamné et le voyage vers la Place de Grève où est installé l'échafaud.
Ce livre a été écrit alors que Victor Hugo venait d'être marqué par la vision d'un homme mené à l'échaffaud pour être exécuté. L'auteur s'insurge alors contre cette mort programmée d'un homme (en étant guillotiné), établissant ainsi un véritable réquisitoire contre la peine de mort. L'atmosphère est étouffante, opprimante et au fur et à mesure de la lecture, on a réellement l'impression d'être dans la cellule à attendre l'heure fatidique ! Cette impression est renforcée par le fait que cet homme n'a aucune identité : cela pourrait donc être n'importe lequel d'entre nous !
Cette oeuvre d'un réalisme poignant et oppressant mène le lecteur jsuqu'à la fin avec cette question obsédante aux lèvres : "On dit qu'on ne souffre pas, que c'est une fin douce, mais qui le sait ?".
Extrait :
I
Bicêtre
Condamné à mort !
Voilà cinq semaines que j'habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !
Autrefois, car il me semble qu'il y a plutôt des années que des semaines, j'étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s'amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d'inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C'étaient des jeunes filles, de splendides chapes d'évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C'était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j'étais libre.
Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n'ai plus qu'une pensée, qu'une conviction, qu'une certitude : condamné à mort !
Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu'on m'adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m'obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d'un couteau.
Je viens de m'éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : - Ah ! ce n'est qu'un rêve ! - Hé bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s'entrouvrir assez pour voir cette fatale pensée écrite dans l'horrible réalité qui m'entoure, sur la dalle mouillée et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre figure du soldat de garde dont la giberne reluit à travers la grille du cachot, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille : - Condamné à mort !
II
C'était par une belle matinée d'août. Il y avait trois jours que mon procès était entamé, trois jours que mon nom et mon crime ralliaient chaque matin une nuée de spectateurs, qui venaient s'abattre sur les bancs de la salle d'audience comme des corbeaux autour d'un cadavre, trois jours que toute cette fantasmagorie des juges, des témoins, des avocats, des procureurs du roi, passait et repassait devant moi, tantôt grotesque, tantôt sanglante, toujours sombre et fatale. Les deux premières nuits, d'inquiétude et de terreur, je n'en avais pu dormir ; la troisième, j'en avais dormi d'ennui et de fatigue. ہ minuit, j'avais laissé les jurés délibérant. On m'avait ramené sur la paille de mon cachot, et j'étais tombé sur-le-champ dans un sommeil profond, dans un sommeil d'oubli.
C'étaient les premières heures de repos depuis bien des jours.
J'étais encore au plus profond de ce profond sommeil lorsqu'on vint me réveiller. Cette fois il ne suffit point du pas lourd et des souliers ferrés du guichetier, du cliquetis de son noeud de clefs, du grincement rauque des verrous ; il fallut pour me tirer de ma léthargie sa rude voix à mon oreille et sa main rude sur mon bras. - Levez-vous donc ! - J'ouvris les yeux, je me dressai effaré sur mon séant. En ce moment, par l'étroite et haute fenêtre de ma cellule, je vis au plafond du corridor voisin, seul ciel qu'il me fût donné d'entrevoir ce reflet jaune où des yeux habitués aux ténèbres d'une prison savent si bien reconnaître le soleil. J'aime le soleil.