Étude Texte 6 : dernier échange entre Antigone et le garde ("Écoute... (p. 110) Et c'est à qui qu'elle est adressée ? (p. 117)) Tout d'abord, quelques remarques sur ce qui précède :On remarque que le garde est omnibulé par son avenir, son avancement, il ne pense qu'à lui. Il emploie du vocabulaire familier. Il a quelque chose de comique qui est pitoyable, son discours est presque caricatural, Antigone ne s'y intéresse pas. Le garde en est dévalorisé. L'embrouillement des sonorités traduit l'embrouillement qui règne dans sa tête. Il est aux antipodes des pensées d'Antigone. Il est profondément indifférent à l'égard du tragique, comparable à l'indifférence de Créon qui se remet à sa tâche comme si rien ne s'était passé (voir p. 122). On remarque encore des anachronismes, notamment avec le terme "allocations".
Écart des tonalités entre les deux personnages Attitude du garde dans ce passage :Antigone a arrêté son discours : "Écoute." Le garde essaie de se mettre à l'abri de ce qu'elle dit ensuite, alors que ce qu'elle dit n'est pas banal et devrait renvoyer à sa propre mort. C'est comme si il était complètement imperméable à ce que dit Antigone, il poursuit son argumentation comme si elle (son argumentation) échappait complètement au garde. Le monde est indifférent, il laisse Antigone seule.
Tout ce qu'il lui dit constitue les éléments de son propre bonheur : la considération (= être reconnu), être presque un fonctionnaire. Mais on peut comprendre cela comme péjoratif sous le regard d'Anouilh et d'Antigone, son bonheur est constitué par du quotidien. Il crée un anachronisme (police // gendarmerie) (sergent // garde). Le garde répond sans tact comme si ça ne concernait pas Antigone. Il le dit de manière abrupte, par exemple : "pour ne pas se souiller", c'est une remarque inutile et blessante pour Antigone. On peut penser qu'il aurait été compréhensif avec Antigone s'il s'était arrêter à "Je ne sais pas" mais il poursuit et raconte des choses dont il n'est même pas certain et en plus, il raconte des choses horribles : "vous murer dans un trou" et il le dit directement comme si Antigone n'était pas concernée par ce sort.
Le garde possède une espèce de balourdise, ce qu'il fait qu'il se sent obligé de donner des précisions : "d'abord". Ceci est souligné par la didascalie : "Le garde se fait une chique", il s'en moque, il vit son petit bonheur. Lorsque Antigone le questionne sur le mal pour mourir : il ramène ça à lui. Ce qu'il dit est décribilisé : "Je ne peux pas vous dire" mais il le dit tout de même : "Pendant la guerre, ceux qui étaient touchés au ventre, ils avaient mal.", ça ne le dérange pas de dire des choses horribles comme elles ne le concernent pas : "Moi, je n'ai jamais été blessé". Il y a quelque part quelque chose d'odieux du garde envers Antigone, mais ce n'est pas par méchanceté, c'est par balourdise. Sans cesse, il revient à l'obsession de l'avancement, il est caricaturé, et ces répétitions doivent provoquer des rires. Le garde n'a pas
d'épaisseur psychologique, au delà de son côté affectif, Créon n'a pas de grande profondeur.
Là encore, l'accent est mis sur le sort des gardes et non pas d'Antigone. Le garde insiste sur ce que va vivre les gardes qui surveilleront le "tombeau nuptial" d'Antigone, "en plein soleil". Il a pitié à l'égard de ceux qui vont devoir garder la caverne, et cette pitié est mélangée à une espèce de revendication, de râlerie. Il reste centré sur ces problèmes internes de fonctionnement. "Étonnez-vous", ce "vous" s'adresse à Antigone, c'est plus important pour lui que sa mort, il l'implique dans ces problèmes. Ça semble donner une importance considérable à tous ces problèmes. Quelque part, il recherche l'approbation explicite d'Antigone par les exclamatives : "Elle a bon dos, la garde !". La didascalie renvoie à la précédente : "qui a fini sa chique", Antigone est "soudain lasse".
Le discours du garde agit comme une mécanique indépendante d'Antigone alors que plus haut, on avait un désir de dialogue.
Antigone :Ses questions à propos de sa mort vivante sont au cœur de l'essentiel. Elles expriment la teneur devant le sort qui l'attend par rapport à l'éloignement du garde. Elle va au plus direct : elle donne des réponses courtes.
Anouilh a voulu reprendre le désarroi d'Antigone, présent chez Sophocle, il utilise 3 fois "Ô". L'expression "lit nuptial" renvoie aux noces : elle se marie avec la mort, ce sera son mari, ceci connote comme une espèce d'amour envers ce destin. Parallélisme entre la nuit d'amour et la nuit de mort : Hémon va se tuer pour Antigone (p. 119). Le bonheur absolu ne peut qu'engendrer la mort. Ça montre bien que la mort était destinée au mariage. C'est ce bonheur suprême qu'elle évoquait précédemment pour désigner Hémon. Pour mourir, elle sera "toute seule", mais mourir avec Antigone ne la gênerait pas : "Elle s'entoure de ses bras". Elle peut être davantage elle même ? C'est quelqu'un qui a besoin d'absolu (comme un grand marin, un alpiniste de haute montagne...) et qui n'a donc pas peur de la mort. En quelque sorte, elle s'approprie la mort.
La Lettre Le garde :On note toujours cette même indifférence. En plus, ce n'est pas lui qui risque gros mais Antigone. Il demande si la bague qu'elle lui donne est en or, connote la corruption. La position de principe paraît simple : il est garde et sa cupidité plus sa corruption font qu'il transige. Le garde rejoint l'art de l'arrangement qui est celui de Créon. Le garde répète les phrases d'Antigone et les commente, il les écrit sans comprendre. Anouilh utilise un procédé comique : un élève qui écrit une dictée : "suce sa mine", "répète lentement", "peine sur sa dictée", "écrit suçant sa mine". Le fait de répéter de sa grosse voix qui devrait être pathétique dévalorise et désacralise sa lettre. Les commentaires du garde sont dévalorisants et ignobles. Anouilh en fait une espèce de généralisation qui efface le poids de la mort d'Antigone. Lorsque le garde lui dit que "C'est une drôle de lettre", il dévalorise les dernières paroles d'Antigone.
Évolution d'AntigoneD'une part, Créon est comme réhabilité : "Créon avait raison". Elle se rend compte que "c'était simple de vivre...". Et d'autre part, c'est se révéler, elle avoue qu'elle n'est pas si certaine et si intransigeante qu'elle le disait auparavant. Elle dit même "Pardon" pour ce qu'elle a fait, elle se rend compte qu'elle a fait une erreur, qu'elle a blessé Hémon et qu'elle a vécu pour elle même et non pas pour les autres. "Sans la petite Antigone, vous auriez tous été bien tranquilles." Elle se considère comme quelqu'un qui les empêche de vivre. La tranquillité, ça veut dire aussi que la petite Antigone est là pour rappeler qu'il faut vivre une vie absolue et non pas une vie pépère. Elle "raye" en quelque sorte sa peur par rapport aux autres. Mais est-ce qu'elle le raye dans son esprit ? Cette ambiguïté semble perçue par le garde qui dit "c'est une drôle de lettre." Et Antigone le lui confirme.
Quelque part, ça lui donne une humanité qu'elle n'avait pas auparavant, cela renforce le tragique de la pièce. En fait, le véritable destinataire de la lettre, c'est le spectateur, c'est un subterfuge pour connaître les états d'âmes d'Antigone.